2015-12-16

Émilie Tavernier Gamelin, la femme insaisissable..


En cherchant autre chose dans mes fichiers, je trouve ce beau texte d'une homélie faite par le Père Gérald Chaput un jour. Je ne peux m'empêcher de vous le partager.


Il convient de rendre grâce pour cette femme insaisissable que fut, dans notre histoire, Émilie Gamelin. Rendre grâce pour le bien qu'elle a fait en tissant un maillage humain si serré avec les habitants de la périphérie qu'elle n'a perdu aucun de ceux que tu m'as donnés (Cf. Jn 18, 9).
Bien avant l'arrivée des réseaux sociaux actuels, cette femme initia en écoutant les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses de son temps, un réseau de solidarité dont elle fut la tête dirigeante durant toute sa vie.  Ce matin, notre jubilation est de voir se poursuivre à travers une communauté, son entêtement à ne pas laisser sans voix les sans voix.
Femme insaisissable, contrairement aux us et coutumes de la nature humaine d'hier et d'aujourd'hui, elle n'a pas engrangé pour elle-même, ni comptabilisé à son profit tout ce qu'elle a entrepris pour donner voix aux sans voix. Elle était moins préoccupée à promouvoir sa renommée que par  sortir de la périphérie les laissés-pour-compte.

Femme insaisissable, vaillante, elle a fait voir à son entourage des vidéos qui n'intéressaient personnes. Elle n'était pas très empressée de garder pour elle des informations qu'on devait taire. Elle privilégiait plutôt de montrer ce qui ne se montrait pas. Ce qui ne se voyait pas. Elle a refusé de rayer de la carte ceux qui n'étaient pas montrables. Elle a porté une cause humanitaire, dirions-nous aujourd'hui. Personne autre que Dieu n'avait pouvoir sur elle parce que tout lui avait été donné d'en haut (cf. Jn 19, 11). 

Elle a proposé de lancer le bouton : je n'aime PAS du tout. Elle n'a pas hésité à «retweeter» au quotidien, la passion de Jésus devenue sa passion, pour le peuple de la périphérie. Son seul péché, à elle et à ses «followers», fut d'incarner la bonne nouvelle en redonnant de la dignité à ceux qui vivaient en mode exclusion. Si notre regard aujourd'hui nous entraîne au péché de ne pas sortir, débranchons-le (Mt. 18, 8) pour le rebrancher sur sa manière de vivre.

Femme insaisissable, elle ne vivait pas selon ce mode humain si revendiqué aujourd'hui, de tout tourner, retourner vers nous-mêmes. Elle ne vivait et ne pensait qu'en mode divin, mode désappropriation d'elle-même,   d'abaissement et de renoncement kénotique. Son «je» était Le sien. Ce n'est plus moi qui vis (Gal 2, 20). Son âme contemplative lui a fait abandonner tout contrôle sur sa vie. Elle ne se souciait que de vivre à la mode Jésus, celle de porter droitement et fermement (Imitation de Jésus Christ, livre III) comme lui la volonté de son Père : offrir une parole salutaire, de salut à tous.  

Le Dieu de sa foi était son tout. Son époux. Incarner Jésus était son tout. Elle ne désirait rien d'autre que cela. Elle ne goûtait que cela. Elle n'avait de goût que pour Dieu qu'elle voyait en se tenant en périphérie. Elle n'a pas manqué d'huile (cf. Mt 25,1-13) ni contristé (Ep 4, 30) l'Esprit de Dieu dans sa manière de vivre. Elle vivait une grande paix et une imprenable joie intérieure. Sa vie fut un retournement de la nature et de ses tendances égoïstes en mouvement de grande compassion pour les autres. Elle fut PROVIDENCE DE DIEU.  C'est ce qui mesure la qualité de toute vie chrétienne.

Aujourd'hui, l'Église de chez nous peut la considérer avec quelques autres, comme une pionnière d'une église «sorteuse» que le pape François nomme plus éloquemment, celle de la périphérie, ce lieu moins que fascinant mais qui a tellement séduit, sa vie durant, Jésus de Nazareth. Émilie Gamelin voyait la beauté de l'Incarnation dans son contraire: les très-bas.

Cette femme insaisissable a conservé toute sa vie l'inquiétude (pape François) de chercher Dieu non pas par le chemin de l'union à Dieu mais plutôt par celui de l'imitation de Jésus. C'était pour elle plus que du mimétisme mais bien de devenir son image et ressemblance auprès de moins que rien. Seigneur allume en nos cœurs une charité toujours en éveil pour qu'à son exemple, nous soyons de plus en plus la providence des pauvres (Oraison). AMEN.

2015-12-05

Émilie et les aînés

Les  aînés n'ont-ils pas  été  à  l'aurore de nos  existences, ceux qui ont guidé  nos pas, orienté nos actions, écarté de notre route les obstacles, et soutenu  de leurs  conseils  et de leur  prière, nos vies  d'adolescents  puis  d'adultes.

Émilie savait découvrir ceux et celles pour qui le grand âge fait bond arrière et qui se retrouvent parfois au matin de leur existence dans leur comportement physique et psychique; ceux-là qui ont besoin à leur tour d'une main tendue, d'un cœur accueillant, d'une âme faite de compassion et de compréhension, même si entre le point de départ et le point d'arrivée, il y eut parfois des ombres au tableau des générations.

Retrouvons-la, Émilie, la toute donnée, auprès de Dodais, l'être privé de raison, qui réclame d'elle les soins les plus empressés; pendant de longues années, elle oubliera sa jeunesse et sa liberté pour lui être disponible et dévouée. La vieille maman de ce pauvre idiot, la suivra de son regard reconnaissant et Émilie leur sera présente jusque dans la mort.

Suivons-la, Émilie, sur la rue Ste-Catherine d'alors( 1830…). Son grand cœur trouvait trop étroite la maison qui avait abrité Jean-Baptiste et leurs trois poupons. Partis, elle sollicitera espace plus grand pour les « aînées » qu'elle a vus de ses yeux, dans de pauvres mansardes. Et le bon curé du temps lui donnera le bas d'une école, à l'angle de la rue St-Laurent, pour seconder son désir de leur venir en aide.

Trop petit bientôt, ce local se déplacera vers l'ouest, et cette fois à l'angle des rues Ste-Catherine et St-Philippe, pour être à la mesure d'un cœur qui s'élargit, face à la souffrance du grand âge. Cette résidence  était située à l'actuel Complexe Desjardins.

Mais, à Dieu ne plaise, d'autres attendent et requièrent des services aussi nombreux que nécessaires. On emménagera ailleurs pour  donner libre cours aux dévouements multiples pour ceux que l'âge a  perclus ou obnubilés. Ces « aînés » ont droit à plus d'attention et plus  d'amour que quiconque, et Émilie ne compte plus les heures et les jours, ni les années mêmes, elle ne compte pas davantage sur sa propre sécurité, ni sur une vie rebâtie sur ses deuils ou ses possibilités; seul compte pour elle l'amour de Dieu -qui se fait Providence- dans un amour  du prochain, chaque jour renouvelé.


Et là, tout près, sur le versant nord de cette même rue Ste-Catherine, l'Asile de la Providence naîtra pour perpétuer, par Émilie et ses filles, ce don héroïque et persévérant dont Montréal bénéficiera jusqu'à l'aurore de l'an 2000. C'est ce qu'on appelle des « aînées" devenues aînées à leur tour, pour préparer la voie aux aînées de demain, car ainsi va la vie sous le regard de la Providence.  

Extrait d’une lettre de sœur Thérèse Frigon, s.p.