Un premier témoin est Sophie Longtin (1825-1914). Fille du prisonnier Jacques Longtin, elle deviendra plus tard Sœur Jean-Baptiste, s.p., et elle racontera comment elle a visité son père en prison, grâce à Madame Gamelin, le 8 novembre 1838. Nous donnons ci-après ce récit puisqu'il tient lieu d'original. Maintes fois cet épisode fut raconté par des contemporaines de Sœur Jean-Baptiste dont quelques-unes vivent encore aujourd'hui (1888).124 la témoin: Extr.: Vie de Mère Gamelin... (1900) op. cit., pp. 44-46.
«Le 8 novembre 1838, elle [Sophie Longtin] vint à Montréal avec sa mère pour tenter de pénétrer auprès du captif. La permission leur en fut refusée, et leur douleur fut d'autant plus grande que la loi martiale avait été proclamée la veille même, et que des rumeurs sinistres circulaient sur le sort réservé aux infortunés détenus. Dans son affliction, la pauvre femme se rendit chez madame Gamelin pour lui demander conseil et assistance.
«Celle-ci, raconte sœur Jean-Baptiste (Sophie Longtin), ne pouvant amener ma mère à la prison, à cause du refus qu'elle venait d'essuyer, eut la délicatesse de me prendre avec elle pour sa visite quotidienne. Je partis donc avec madame Gamelin, l'aidant à porter ses provisions, dont une part était destinée à mon pauvre père. J'avais le cœur bien gros, et des larmes brûlantes coulaient le long de mes joues, en songeant que j'allais voir mon père bien aimé, prisonnier dans cet affreux donjon, lui si bon et que nous aimions tant! «Nous traversâmes la cour de la prison entre deux rangées de soldats armés. Le guichetier ouvrit une immense porte en fer et la referma sur nous. Je tremblais de tous mes membres, mais madame Gamelin me rassura avec une bonté toute maternelle.
«Bientôt nous fûmes dans la salle des détenus. En l'apercevant, les prisonniers allèrent au-devant d'elle comme au-devant d'une mère. Elle les salua en leur disant: "Je viens voir comment se portent mes enfants aujourd'hui!" Pendant qu'elle leur distribuait les messages de leurs familles et ses provisions, parmi lesquelles il y avait du tabac et des friandises, je pus voir mon bon père. Je ne sais ce que je lui dis, mes sanglots m'étouffaient; mais cette entrevue est restée pour toujours gravée dans mon esprit.
«Durant cette longue visite, madame Gamelin fit à ses chers prisonniers une courte lecture de piété, comme elle le faisait toujours; elle récita le chapelet avec eux et, sur le point de partir, leur dit en souriant: «Si vous voulez bien, avant que je me retire, nous allons faire ensemble notre prière du soir.» Et tous ces braves gens, s'agenouillant sur les dalles, mêlèrent une dernière fois dans la prière leur voix à celle de leur ange consolateur.
«Cent douze patriotes subirent leur procès devant la Cour martiale, du 28 novembre 1838 au 1er mai 1839; quatre-vingt-dix-huit furent condamnés à mort; douze furent exécutés; douze, mis hors de cause ou acquittés; trente, libérés sous caution, et cinquante-huit, exilés.»