En venant vous
entretenir de « Mère Gamelin et le Service Social », je n'ai pas l'intention de
présenter
une conférence savante, fortement charpentée, à base de documents et
étayée de nombreuses références,
ce que, d'ailleurs,
je n'aurais pu faire. Je veux, tout simplement, souligner un aspect de
l'activité charitable de
notre vénérée Mère Fondatrice et lui offrir, en même
temps, un filial hommage d'admiration et de gratitude.
Ce ne sera une surprise
pour personne, nous semble-t-il, que d'entendre une Sœur de la Providence
parler de
la fondatrice de son Institut et
du sceau qu'elle a imprimé à la charité dans le Montréal de la dernière moitié
du XIXe
siècle.
Ce XIXe siècle venait à peine
de naître que Marie-Émilie-Eugène Tavernier ouvrait les yeux à la lumière. Il
est une
ironie des noms comme il en est une des choses : la famille dans
laquelle l'enfant vient prendre place porte le nom de
« Tavernier dit Sanspitié
». Son grand-père, Julien Tavernier, venu de Picardie à Montréal, était sergent
dans la
Compagnie du chevalier de Lacorne. Il tombait glorieusement au champ
d'honneur en juillet 1756, dans les environs
du lac Champlain, laissant une
veuve et quatre enfants dont le plus jeune, Antoine, fut le père de notre Fondatrice.
Dès ses plus jeunes
années, la petite semble vouloir faire mentir le nom de « Sanspitié » accolé à
celui de « Tavernier ».
La précocité de sa compassion envers les pauvres fait
l'étonnement de son entourage. Sa maman, heureuse de constater les belles
dispositions de sa fillette, se plaît à faire passer par ses mains enfantines,
l'aumône destinée au mendiant
qui la sollicite pour l'amour du bon Dieu. Or, un
matin, Émilie voit venir dans le chemin montant qui conduit à la maison paternelle, un vieillard qui
s'avance péniblement, appuyé sur son bâton. Elle se hâte à sa rencontre avec
son petit panier plein de provisions qu'elle jette dans la grande besace que le
mendiant ouvre devant elle. En voyant sa
légère offrande s'abîmer dans le fond du sac, elle se met à pleurer et revient
vers sa maman : « Maman, maman, le sac n'est pas plein ! » Celle-ci essaie de
lui faire comprendre, pour la consoler, que le pauvre commence sa tournée
quotidienne et que, à son retour, le soir, il aura suffisamment ramassé pour
subvenir aux besoins de sa famille. Mais, pour son cœur compatissant, la besace
du pauvre lui paraît déjà, et lui paraîtra toujours, trop grande, jusqu'à ce
qu'elle lui ait donné ses biens, sa santé, sa vie, tous les trésors de son
esprit et de son cœur.