Lettre du Notaire
Jean-Joseph Girouard à son épouse. Montréal, novembre 1841.
Orig.: AFLG. P4-B24.
M.
Jean-Joseph Girouard, ex-prisonnier des troubles de 1837, rend témoignage à la
Servante de Dieu en racontant lui-même ce qu'il a vu et entendu à la Maison de
la Providence. Nous donnons ici la copie du texte à partir de l'original.«La charité, l'amour explique tout, est capable de tout».
Je vais te faire
part des souvenirs qui me restent d'une visite que j'ai dernièrement faite dans
la Maison de providence établie par Mmc Gamelin. II y avait longtemps
que je désirais aller voir madame Gamelin. La reconnaissance m'en faisait un
devoir; car je vous ai souvent entretenu de toutes les peines que cette bonne
dame s'était données pour secourir les pauvres prisonniers, et cela, dans un
temps où un pouvoir farouche faisait, pour ainsi dire, un crime de l'humanité
& de la bienfaisance. Dans ces temps malheureux. les femmes seules se
montrèrent au-dessus des circonstances et soutinrent un courage que le sombre
despotisme voulait entièrement abattre.
L'excellente femme dont je viens de parler ne trouvait
plus dans les donjons de l'inquisition politique de malheureux compatriotes à
secourir, à consoler, mais ses entrailles de chrétienne lui ont bientôt fait
découvrir d'autres objets non moins dignes de sa sollicitude. ... venez avec
moi chez madame Gamelin.
J'avais vu la charité chrétienne prendre sous sa
protection l'infortune dès son entrée dans le monde; j'avais vu le pauvre petit
innocent enfant de la foiblesse, de l'amour, du crime ou de l'extrême misère
recueilli dès sa naissance, par les mains de la Religion et sauvé d'une fin
prématurée. Il me restait à voir l'humanité trouver les mêmes secours au bout
de sa course. Mais ici ce ne sont plus des soins à donner à d'innocentes
petites créatures, soins souvent payés par le doux sourire de l'enfance; c'est
l'humanité dans sa décrépitude, dans son état le plus déplorable, dans ses
formes les plus repoussantes, j'oserais dire les plus hideuses. Bon Dieu!
pourquoi ne pas mourir dans l'âge de la santé et de la force? Faut-il attendre
que nous soyions cruellement abandonné par les sens qui nous mettent en rapport
avec tout ce qui nous entoure, et surtout avec nos semblables? Pourquoi donc
attendre que nous soyons assailli par toutes les infirmités & les douleurs
qu'amène la vétusté de la machine corporelle, et lorsqu'il ne nous reste plus
qu'une espèce de vie végétative, et que le sentiment de la souffrance. Eh bien,
c'est lorsque, pour comble d'infortune, ces maux sont joints à la misère &
au dénûment, que la vertu d'une femme est venue au secours de tous ces
malheurs. Sans richesses, sans pouvoirs, sans moyens apparens, elle est venue à
bout de mettre son plan charitable à exécution. Encore un peu de temps, et elle
aura bâti, avec l'aide de quelques dames charitables de Montréal, et sur un terrain
qu'elle a acheté auprès de l'Évêché, un hospice spacieux et bien approprié à
son objet. Le pouvoir civil a reconnu et sanctionné son existence, et l'évêque
de ce diocèse vient de lui donner un mandement d'institution. Ce mandement
dont j'ai pris communication, respire la tendre sollicitude et la douce piété
qui caractérisent ce vertueux prélat. Pour le présent, Madme Gamelin
se trouve resserrée dans un bien petit local.Cependant, entrez-y & vous
serez étonnée de l'ordre et de la propreté qui y régnent.
Une trentaine de vieilles femmes, qui seraient
peut-être mortes de misère ou faute de soins, ont trouvé là un refuge contre la
pauvreté, un asile de paix et de consolation, où elles reçoivent
continuellement tous les secours qu'exigent la caducité jointe à la cécité, à
la surdité, à la paralysie et à toutes les autres infirmités de la vieillesse.
Ce sont presque toutes des sexagénaires ou octogénaires; on y trouve même des
centenaires. Leurs âges réunis forment un total de 1841 ans.
Quel âge
aviez-vous, ma bonne mère, quand les Anglais ont pris le pays? J'avais quinze
ans, monsieur — Vous rappelez-vous bien tout ce qui s'est passé dans ce temps?
Ô monsieur! tout comme si c'était aujourd'hui. — Et vous, en m'adressant à sa
voisine, étiez-vous mariée au siège de Québec? Non, pas encore, monsieur, mais j'étais grandette, et je me
souviens bien que... Bonjour, bonnes mères, (en m'adressant à toute la salle),
je reviendrai vous voir, je veux converser avec vous & m'instruire de
l'histoire traditionnelle de mon pays. Aimez bien votre excellente
bienfaitrice, respectez-la, et payez-la des soins qu'elle vous donne par votre
obéissance et votre affection. — Et toutes celles qui pouvaient m'entendre, de
faire, chacune à sa manière, son cri de reconnaissance.
Celles de ces pauvres femmes qui ne sont pas
entièrement impotentes s'occupent à divers ouvrages. Les unes filent, les
autres échiffent des morceaux d'étoffe avec les seuls doigts qui leur restent,
les autres coupent et lient des lanières pour fabriquer des catalognes;
celles-ci tricottent, celles-là font des poches et autres ouvrages appropriés à
leur capacité. Celles qui ne peuvent travailler, prient, et j'en vis trois en
adoration dans la petite chapelle où un prêtre vient tous les jours dire la
messe. Au reste, elles sont toutes mises proprement & presque entièrement
avec des étoffes fabriquées dans la maison.
Mme Gamelin est seule à la tête de cette
maison, sans autre aide qu'une bonne fille qui s'est vouée comme elle aux soins
de la vieillesse infirme et pauvre. Elles n'ont guères d'assistance parmi leurs
commensales, si ce n'est une jeune fille aveugle qui peut laver la vaisselle et
ballayer.
J'avais oublié de te dire, ma chère amie, que la dame
que j'accompagnais dans cette visite qui m'a inspiré tout ce que je viens de t'écrire,
passant près du lit d'une pauvre vieille pour lui donner quelques bonbons
qu'elle lui avait apportés, me donna une scène bien attendrissante. Cette
vieille, octogénaire, que la dame avait recueillie et placée elle-même dans
cette maison, ne l'eut pas plutôt aperçue qu'elle lui tendit les bras et la
tint em(brassée] en fondant en larmes. C'étaient les larmes de la
reconnaissance: je ne pus retenir les miennes.
J'avoue que je n'ai pu
laisser cet asile sans un sentiment d'admiration pour le zèle de l'excellente
Mme Gamelin, et pour la source où elle a pu puiser la pensée et la force d'âme
nécessaires pour accomplir une si bonne œuvre. Quelle est donc cette religion
qui inspire d'aussi beaux, d'aussi touchans dévoûments?... Laisser les
jouissances du monde, toutes les douceurs et les aisances de la vie, pour se
consacrer exclusivement au soulagement de la misère! Et quelle misère, bon
Dieu! Celle de la décrépitude la plus dégoûtante... À peine trouve-t-on chez
un parent, chez un ami assez d'attachement et de courage pour surmonter toutes
ces répugnances. J'abandonne tous les traités de morale: ils n'en ont jamais
donné à ceux qui n'en avaient pas. Je brûle tous les livres de controverses:
ils ont fait de la religion une affaire d'esprit, de raisonnement, d'érudition,
de calcul, & ils n'ont opéré que je sache aucune conversion à cette
religion qui parle bien plus au cœur qu'à l'esprit. Oui, c'est dans ces institutions
de la plus pure charité qu'il faut l'étudier, pou la connaître, la comprendre,
la chérir et l'admirer. La foi c'est
l'amour. Je ne veux plus entrer dans de vaines disputes avec certains beaux
esprits que je rencontre assez souvent: je les enverrai où j'ai retrouvé tout
ce qu'il fallait pour renouveler chez moi de consolantes convictions, et ces
sentimens qui font le bonheur de l'homme dans l'adversité, et qui ont tant
allégé les souffrances de ton ami.
J.J. Girouard (Jean-Joseph)
P.S. «Je crois
que la dame qui vous accompagnait était Madame [Louis-Hippolyte] Lafontaine»,
une grande bienfaitrice de l'œuvre de la Servante de Dieu et l'épouse du
Procureur général .
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