2014-09-21

La Minerve et le décès d'Émilie Gamelin (1851)

Le Journal de ce temps-là, LA MINERVE du 2 octobre 1851 parut tout encadrée de noir pour parler en 2 pages de la mort d'Émilie Gamelin. La Minerve était un journal montréalais fondé par Augustin-Norbert Morin pour promouvoir les buts politiques du Parti canadien  de Louis-Joseph Papineau. Il a été dirigé par Ludger Duvernay .

En voici le texte intégral:


LA MINERVE 2 OCTOBRE 1851    - NOTICE NÉCROLOGIQUE

Une mort soudaine, accompagnée de tous les symptômes du choléra, vient de plonger la communauté des Sœur de Charité de cette ville, connues sous le nom de « Sœurs de la Providence, » dans une affliction bien profonde. Leur supérieure et Fondatrice, la Rév. Mère Gamelin, est décédée mardi, le 23 septembre, après douze heures seulement de maladie. Atteinte à quatre heures du matin des premières douleurs, il a fallu, dès huit heures, se hâter de lui administrer les derniers sacrements de l’Église. A quatre heures du soir, elle expirait, environnée de ses filles éplorées qui ne pouvaient plus l’assister que de leurs ferventes prières.

Cette vénérable défunte n’était âgée que de 51 ans sept mois et deux jours, étant née à Montréal sur le Fief de la Providence, le 20 février 1800. Ses parents étaient plus recommandables par leur probité que par leur fortune. Elle avait reçu au baptême le nom de Marie Émilie. Les premières années de sa jeunesse furent celles d’une enfant intéressante par sa candeur et sa docilité. Élève de l’Institution des Srs de la Congrégation de N.D. de cette ville, elle se forma sous leurs soins à la piété, et mérita toute l’affection de ces excellentes institutrices du jeune âge. Entrée dans le monde, elle s’y fit aimer et respecter universellement. Se croyant appelée à contracter une alliance conjugale, elle fixa son choix sur un vertueux célibataire dont le goût conforme au sien était de secourir les pauvres et d’abriter l’orphelin. Après quelques années d’un heureux ménage, elle vit cet époux chrétien s’éteindre sous le poids de longues et cruelles souffrances. Dieu sait combien les soins assidus et prolongés qu’elle lui donna, combien les pieux encouragements qu’elle lui adressa fréquemment, durent procurer de force et de consolation à cet homme mourant! Cette perte déjà si sensible fut aggravée par une autre non moins douloureuse, celle des deux enfants qu’il lui avait laissés, uniques objets de ses soins maternels. En peu de temps, le même tombeau réunit ces tendres fils à leur père.




Dieu éprouve ceux qu’il aime, et souvent, même, il prépare dans les douleurs, les œuvres de sa droite. Humainement inconsolable de tant de privations la vertueuse veuve Gamelin cherche dans la religion seule le soulagement qu’elle ne pouvait manquer d’en obtenir. Les bonnes œuvres furent dès lors son occupation comme sa distraction journalière. Elle avait perdu toute sa famille, elle la retrouvait dans celle des pauvres, des malades, des invalides de toute espèce. Toute entière à la charité, sans prétention et sans respect humain, elle visitait indistinctement le pauvre et le riche. Elle parlait aussi librement à l’un comme à l’autre des devoirs qu’ils avaient à remplir envers Dieu ou envers le prochain. Selon l’occasion, elle n’épargnait pas plus ses reproches à l’homme opulent qu’au pauvre humble et soumis; tous les deux recevaient également la leçon et tous les deux ne pouvaient se défendre d’estimer et de respecter la personne qui la leur donnait. Son rôle s’exerçait aussi dans les prisons. Combien de fois n’y alla-t-elle pas consoler et instruire les détenus de nos cachots? Porter des secours, des provisions aux prisonniers malades. Que ne fit-elle pas pour obtenir des adoucissements de toutes sortes à leurs maux? Survenait-il une épidémie, une disette, qui pesait particulièrement sur la classe indigente, cette veuve intelligente et charitable volait bientôt à son secours et les moyens les plus prompts et les plus efficaces ne lui faisaient jamais défaut. On se souvient encore dans les divers quartiers de la ville et des faubourgs des salles de refuge qu’elle y ouvrit, des veilles et des jours qu’elle y passa, des dons et des aumônes qu’elle y distribuait; des mille pieuses industries qu’elle employait auprès de ses amis pour alimenter ces diverses institutions et soutenir ses pauvres bien aimés.

Ce fut par cette vie chrétienne et toute de dévouement, que cette charitable Dame se préparait, sans le savoir, à la grande part que Dieu lui destinait dans l’établissement d’une maison de Providence. Il y avait en effet déjà plus de douze ans que Madame Gamelin s’occupait ainsi des pauvres qu’elle logeait, qu’elle vêtait, qu’elle instruisait un grand nombre d’enfants abandonnés, de femmes vieilles et abandonnées, de sourdes- muettes, d’idiotes et autres.
Lorsqu’en 1841, l’évêque de Montréal, secondé dans ses vues charitables par un des plus généreux citoyens de cette ville, se résolut à donner à son établissement, une existence plus régulière, avec plus d’extension et de stabilité. Dès lors se forma le plan de l’Asile, aujourd’hui connu sous le nom si vrai de Maison de Providence. Or, c’est dans cette admirable fondation que Madame Gamelin, devenue bientôt Sœur de Charité a passé les huit dernières années de sa vie, travaillant sans relâche, avec les nombreuses compagnes qui lui arrivaient de toutes parts, à atteindre le but de l’institution, sous la direction des supérieurs ecclésiastiques et avec le concours bien cordial d’un nombre de Dames de la ville.On sait le reste de l’histoire édifiante et toute palpitante d’intérêt de cette nouvelle communauté qui compte aujourd’hui 49 sœurs Professes (la révérende mère Gamelin en était la 50e) et qui possède, en outre, cinq Providence dans le diocèse, une à Laprairie, une autre à Longue-Pointe, une 3e à Ste. Elizabeth, une 4e à Sorel et une 5e au faubourg Québec. Dans ces diverses maisons, on loge à peu près gratuitement cinq vieillards, trente-six orphelins, cinquante personnes du sexe; on y élève trente-cinq orphelines, on instruit cinq cent petites filles; et dans tous ces endroits, ainsi qu’à la maison mère, un certain nombre de ces bonnes sœurs de charité sont constamment occupées, la nuit et le jour, au service des malades, à la visite des pauvres et aux autres œuvres très-multipliées de l’institution. C’est dans la poursuite, ou mieux à l’heureuse conclusion de ces grands travaux, qu’elle présidait comme supérieure, que cette que cette vénérable fondatrice vient de terminer glorieusement sa carrière, la veille d’une des fêtes de la très Ste. Vierge, Notre-Dame de la Merci.

Tout le monde comprend la perte immense que fait cette communauté; mais personne ne saurait exprimer la douleur, la désolation que cette mort inattendue a causée non seulement au sein de cette maison en deuil, mais encore dans la cité de Montréal et même au loin dans les campagnes. La vie du juste paraît toujours trop courte, et il semble que les personnes de charité ne devraient jamais mourir.

Nous aurions maintenant à parler des vertus excellentes qui ornèrent cette âme généreuse et bien née; mais les vertus du cloître sont comme les secrets inviolables de la famille que la religion et la modestie nous défendent de révéler. Bornons-nous donc à dire: le sacrifice que Madame Gamelin fit en renonçant aux jouissances que lui offrait le monde, pour embrasser les privations de la vie religieuse, nous témoigne assez de ce que dût être cette femme incomparable, qui était une véritable sœur de la charité, avant même qu’elle en portât le nom et l’habit. Puis, remarquons, en terminant cette trop brève notice, combien est admirable la Providence divine qui a voulu opérer tant de bien, faire de si grandes œuvres, par une seule femme née dans l’obscurité, dénuée de fortune, mais enrichie de la foi et animée de la charité! Grâces soient éternellement rendues à Dieu, l’auteur de tout don parfait, qui a donné une semblable héroïne à notre ville, un tel exemple à notre siècle!

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